Dominique AVON
Dans un essai intitulé “الاتجاهات الوطنية في الأدب المعاصر” [“Tendances nationales de la littérature contemporaine”], paru en 1946 et plusieurs fois réédité par la suite, l’homme de lettres égyptien Muḥammad Muḥammad Ḥusayn (1912-1982), formé à l’Université du Caire, met en garde contre les tentatives attribuées à des chrétiens de différentes Églises, d’avoir voulu sinon unifier du moins rapprocher le christianisme et l’islam depuis la fin du xixe siècle. Les termes al-waḥda, al-tā’līf, al-ṭawfīq sont utilisés simultanément, les références aux faits sont mal assurées, et le propos traduit une inquiétude ou un malaise qui persiste jusqu’à la fin des années 2010, en dépit d’initiatives concrètes visant à instaurer les conditions d’un dialogue entre sunnites et catholiques en particulier.
Parmi les jalons qui ponctuent ce chemin heurté figurent l’accueil chaleureux réservé par le shaykh Aḥmad Ḥasan al-Bāqūrī (1907-1985) au cardinal Franz König (1905-2004), à al-Azhar, en mars 1965, les tensions qui suivent la visite d’une délégation du Vatican à al-Azhar en 1978, le silence qui accompagne la rencontre de prière pour la paix, à Assise, souhaitée par le pape Jean-Paul II (1920-2005) en 1986, l’espoir suscité par la création d’un comité de liaison avec les organisations islamiques internationales et al-Azhar au sein du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux en 2000, ou le nouveau climat de confiance accompagnant la réception en audience privée du shaykh Aḥmad al-Ṭayyib (n. 1946) par le pape François (n. 1936) en mai 2016.
Les gestes et paroles qui traduisent à la fois une volonté d’agir ensemble mais également des manifestations de défiance s’inscrivent dans un contexte géopolitique qui a singulièrement changé au cours de sept décennies. Ils sont à mettre en relation avec la désignation d’un tiers, tel « l’athéisme », susceptible de servir de repoussoir face aux croyants des « religions célestes ». Ils s’accompagnent d’interrogations sur la désignation des chrétiens : Faut-il continuer à les qualifier de kuffār ou de ḍālūn ? Dans l’affirmative, quelles peuvent être les conséquences juridiques dans un régime qui se réfère constitutionnellement à l’islam ? Dans la négative, comment envisager le salut pour eux et quelle place réserver à la da‘wā à leur égard ?